par Karen Bliss
La chanson « Informer » de Snow a été intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en novembre 2023 au Glenn Gould Studio de Toronto, dans le cadre de la série Légendes.
Le simple de l’artiste dancehall-rap-reggae né Darrin Kenneth O’Brien (DKO) est paru en 1993 et est devenu un succès mondial. Il a passé sept semaines à la première place du Billboard Hot 100, ce qui lui a aussi valu de figurer dans le Livre Guinness des records comme la chanson reggae la plus vendue de l’histoire. Il a également atteint la première place au Canada sur le palmarès The Record, la deuxième place au Royaume-Uni et la première place dans plusieurs pays européens. Snow a remporté un JUNO pour le meilleur enregistrement reggae en 1994.
Le texte impossible à chanter au karaoké relate son arrestation après une bagarre et son incarcération dans la foulée d’accusations de tentative de meurtre absolument fausses. Il a écrit la chanson alors qu’il se trouvait au Centre de détention Est de Toronto et l’a enregistrée – en plus de signer un contrat de disques – alors qu’il était en liberté sous caution.
Jeune blanc d’origine irlandaise, Snow a grandi dans le quartier d’Allenbury Gardens, à North York, où il écoutait du reggae et s’imprégnait du patois jamaïcain parlé par ses amis et ses voisins. Il a rapidement développé un véritable don pour le rap et un style « toaster » jamaïcain ultra rapide qui l’a amené à travailler à New York avec le producteur MC Shan, qui a coécrit « Informer » avec Snow, Terri Moltke et Edmond Leary, et qui a produit son premier album complet, 12 Inches of Snow.
L’album est sorti alors que Snow était en prison et a été certifié platine (1 million d’unités vendues) aux États-Unis et triple platine (300 000 unités) au Canada. Snow sera acquitté des accusations de meurtre, mais sera néanmoins emprisonné pendant deux ans pour agression, alors que dans le monde extérieur, il commençait à devenir une vedette.
Il n’a pas pu présenter une tournée aux États-Unis en raison de son casier judiciaire, mais cela ne l’a pas empêché de se bâtir une carrière internationale et de produire des albums à son propre rythme : Murder Love (1995), Justuss (1997), Cooler Conditions (1999), Mind On The Moon (2000) et Two Hands Clapping (2002). Depuis une quinzaine d’années, il dirige DKO Music Group/Productions pour lancer sa propre musique et travailler avec d’autres artistes.
En 2019, la superstar portoricaine Daddy Yankee, qui avait peu de temps avant annoncé sa retraite, a repris à sa façon « Informer » et a fait appel à Snow comme invité spécial sur l’enregistrement et dans le vidéoclip. La reprise en espagnol approche rapidement les 3 milliards d’écoutes seulement sur YouTube et elle a remporté sept trophées aux Latin Billboard Awards en 2020, un Billboard Music Award, quatre Lo Nuestro Awards, le Prix SOCAN de musique pop ainsi qu’une nomination aux MTV Video Music Award. Un remix mettant en vedette Katy Perry a également fait sa marque sur les palmarès.
Karen Bliss s’est entretenue avec Snow à propos d’« Informer » et de la suite des choses.
« Informer » a plus de 30 ans. Tu as écrit plein de chansons depuis, mais c’est quand même celle-là pour laquelle tu es connu, ton tout premier simple. Comment tu te sens par rapport à ça? Bien! C’est quand même drôle que ce soit mon premier simple, ma première chanson, et que ça parle de ce qui est probablement un des pires moments de ma vie. Je faisais face à deux accusations de meurtre quand j’ai écrit ça.
Elle est générationnelle. Toute une nouvelle génération la découvre. Ouais, surtout avec Daddy Yankee. Quand il m’a contacté pour me dire qu’il voulait en faire une reprise, j’ai dit « OK, fais-moi écouter ça ». Ça l’a ramenée vers le public latino. J’avais beaucoup de succès avec le public latino, mais c’était beaucoup plus gros avec le simple de Daddy Yankee, ça fait plaisir à voir.
Il m’a dit qu’il écoutait ma chanson quand il était jeune [Daddy Yankee avait 16 ans quand « Informer » est sortie]. Ouais. C’est drôle parce que je l’ai entendue dans une pub même si la chanson parle de mes accusations de tentatives de meurtre et de ne pas être un délateur et tout ça. C’est une pub d’auto [Snow chante « Informer »], mais ils n’ont aucune idée de quoi ça parle [rires].
Parlant de ça, encore aujourd’hui, je suis incapable de chanter en même temps que la chanson. Est-ce qu’il y a vraiment des gens qui sont capables de te suivre quand tu rappes dans ton style « toaster » ultra rapide? C’est un véritable talent! Oui. Y a des gens qui y arrivent. Moi, je suis comme « Oh! tu chantes les bonnes paroles ». Mais t’as d’autres gens qui pensent que quand je chantais [il « toast »] « me born and raised in the ghetto », je disais autre chose et ils m’abordent en disant « Yo, je viens du même coin que toi! » Et je suis comme « tu viens d’où? » Et il me dit « du Connecticut ». Je suis comme « du Connecticut? » [il chante « born and raised in Connecticut »] Il pensait que j’étais né et que j’avais grandi au Connecticut. Je suis comme « Le Connecticut? J’ai jamais même entendu parler du Connecticut. C’est fucking OÙ le Connecticut? »
Il y a plein de chansons dont on ne comprend pas tout à fait les paroles, mais dans le cas d’« Informer », c’est pas mal la chanson au complet. As-tu d’autres exemples de trucs amusants que les gens pensaient que tu dis? Évidemment « I’m a farmer » [« je suis un fermier » au lieu de « informer »]. Des trucs comme ça. Beaucoup de marmonnage. Ils marmonnent un brin, mais c’est le mieux qu’ils arrivent à faire.
La phrase sur la police est dure à comprendre aussi. Yeah. [Snow rap la phrase]. Police a comin for me now dey blow down me door, Breakin’ de bar troo, troo my window. Ou « When me rockin’ the microphone me rock on steady ». Elle est pas mal vite celle-là aussi. Y a des mots, mais même quand je faisais le deuxième album en Jamaïque, les producteurs jamaïcains, Tony Kelly et eux, quand j’étais dans la cabine d’enregistrement, ils étaient comme « Yo, Snow, quelle langue tu parles? » [rires]. « Je sais pas. C’est genre de l’irlandais-jamaïcain. Je sais pas. Ça vient de Toronto. Mon quartier. Je sais pas c’est quoi. »
Mais pour vrai, personne n’a été capable d’imiter ce que tu fais. Tu as un style unique, ça c’est sûr. Raconte-moi l’écriture de la chanson. Y a le texte, évidemment, mais ta façon de le débiter est à un autre niveau complètement. Tu ne t’es jamais dit « peut-être que je devrais ralentir ça un peu »? Personne ne t’a dit « mais qu’est-ce que tu chantes exactement? » Ça ne m’a jamais traversé l’esprit. Rien. Je suis allé au studio, j’ai rencontré MC Shan. C’était l’fun. Je suis allé au studio [« scat » rapidement]. Je ne me suis pas dit « OK, OK, c’est pas bon ça ». Je m’en foutais, parce que j’étais pas comme « oh mon Dieu, c’est mon premier album alors il faut que je mette le paquet ». Je m’en foutais. Comme je l’ai dit un million de fois, je m’en foutais parce que c’est pas là que je voulais être. C’est pas comme si j’avais des règles à suivre, surtout pas à cette époque, parce que c’était pas permis de chanter du rap et du reggae en même temps. Genre que si t’étais un rappeur, t’avais pas le choix de demander à Jodeci de venir chanter ton « hook » R&B. Mais moi je chantais. J’étais comme [chante] « girl I been hurt ». Je faisais du beatbox, je faisais du reggae. Je rappais sur le premier album. Je m’en foutais pas mal. J’avais du fun et c’est tout.
Ça serait vraiment drôle d’en faire une version ralentie où chaque mot est prononcé comme il faut. Là c’est sûr qu’ils ne comprendront rien. C’est comme ma mère, quand j’ai commencé le deuxième album [chante] « everybody wants to be like you », elle est venue au studio et elle était comme « c’est quoi toute cette « bullshit » twangy twang? T’es reggae, toi. » [rires].
Te souviens-tu quand ta fille a entendu « Informer » pour la première fois ce qu’elle pensait que tu rappais? Non, je m’en souviens pas. Elle était trop jeune. ’97.
Mais même plus tard, quand elle l’a entendu ou qu’elle a juste compris que c’était ta chanson? Elle préférait les trucs plus récents comme [chante] « everybody wants to be like you ». J’ai des photos d’elle sur scène avec moi. C’est drôle, j’ai des photos où je tiens le micro pour elle sur scène quand elle avait cinq ou six ans. Et maintenant j’ai la photo du Panthéon où je tiens son fils dans mes bras. Il a six ans et je tiens le micro pour lui.
Et personne ne lui demande « mais qu’est-ce que tu racontes dans tes rimes? » Oh non. Elle sait que je ne sais pas écrire, épeler. Elle sait que je ne peux pas faire ça. Bref, quand tout ça sort de me bouche, elle est comme « OK ça c’est normal ». [rires].
De tout le texte, c’est sans doute « a licky boom boom down » que les gens retiennent le plus, même s’ils ne savent pas ce que ça veut dire. C’est la petite phrase accrocheuse de la chanson.
Ce bout-là, au début, c’était skiddly. [Il chante] skiddly boom, boom down.
Skiddly? Ouais, c’était ça au début. C’est resté ça jusqu’à temps que je le chante pour vrai dans le gros studio. Je suis pas sûr pourquoi, mais je l’ai changé pour [chante] a licky boom, boom down. MC Shan haïssais ça. Il haïssait licky boom boom; il adorait skiddly boom boom. Je savais pas, il aurait dû dire quelque chose.
Mais tu as inventé ça, n’est-ce pas? Mm-Hmm. C’est juste un truc que je faisais, un peu de bah-ding, tsé, juste du ding ding, ding ding. Tu comprends ? C’est ma mère qui a transformé ça en « ouais, ils vont donner une volée au délateur, il va passer un mauvais quart d’heure. Ils vont lui donner une sale rince. »
Quand Daddy a fait « Con Calma » c’était en espagnol. Sais-tu ce qu’il chante? Je comprends le bout où il dit « Hey Lady, comment ça va? »
Tes interventions sonnent Espagnoles comparées aux siennes. Non, c’est mon anglais.
Où le succès de cette collaboration t’a-t-il permis d’aller? La Colombie et toutes ces autres places. Et j’ai gagné sept Billboard Awards et tout plein de Latin Awards. Je suis pas fort sur les prix, « Oh, cette chanson est meilleure que celle-là ». Mais n’empêche, ça m’a fait voyager et ça m’a fait beaucoup connaître dans la communauté latino. C’est comme ça que DKO a signé un artiste latino du nom de Balam [Kiel]. Il vient du Mexique. Ça m’a donné plus de connexions et tout ça et je peux l’aider encore plus parce que si j’avais pas fait cette chanson, je ne pourrais pas l’aider. J’aurais essayé, mais ça n’aurait pas marché. Mais maintenant j’en sais plus. On a pas mal de monde dans l’écurie musicale DKO et c’est ça qui nous occupe, on a du fun.
Et tu viens juste de recevoir un prix pour l’ensemble de ta carrière au Royaume-Uni aux Boisdale Music Awards [animé par Jools Holland]. Le Global Icon Award, en fait. Et l’an prochain je reçois un prix irlandais. Je m’en vanterai quand je l’aurai reçu.
Et côté nouvelle musique de ta part? J’ai une couple de chansons latino. Moi et Zion & Lennox. Sont pas aussi « big » que Daddy Yankee, mais sont pas loin. C’est débile. J’ai aussi des chansons en Jamaïque avec Sly [Dunbar] et Anthony Red Rose et tout ce monde-là. Moi et Ky-Mani Marley, Sean Kingston, on a une bonne chanson qui s’en vient. Je fais de la musique, mais je suis pas comme « oh mon Dieu! je vais sortir de la musique et partir en tournée et devenir super « big » ». Je me contente de créer de la musique et de la sortir. Je suis bien content d’avoir du fun à faire ce que je fais. Je préfère laisser la place à ces jeunes loups pour qu’ils « boom ». C’est ça qu’on fait.
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